Justin Trudeau est-il vraiment progressiste? En regard de ses positions et celles de son gouvernement au sujet de certains dossiers, comme le projet Énergie Est, l’industrie de l’armement et le cas Raif Badawi, qui sont pour le moins ambiguës, la question se pose. On s’attendrait à une position clairement plus environnementaliste, pacifiste et humaniste (dans le sens des droits de l’homme) de la part d’un dirigeant qui se présente comme progressiste.
Et il y a la question sociale, pour ne pas dire celle des classes. Depuis quelque temps, il est souvent question de la classe moyenne de la part de ce gouvernement. Dans le sens où il faut l’aider. Pourquoi la classe pauvre n’est-elle pas incluse? N’a-t-elle pas aussi besoin d’aide? (Objectivement, elle en a plus besoin, elle est pauvre, justement…) La réponse se trouve peut-être dans une courte partie du discours de Justin Trudeau, livré le 26 août 2016, au dénouement du caucus libéral qui se tenait à Saguenay :
Que de subtilité! Ce qu’il faut en comprendre, c’est que l’aide libérale est au mérite, ce qui est assez représentatif de la pensée dite de « droite », il faut l’admettre. Les riches sont riches parce qu’ils ont travaillé « fort », la classe moyenne est moyennement riche parce qu’elle a travaillé (moyennement?) « fort ». Donc, ces deux classes méritent de l’aide gouvernementale. Mais, pour ce qui est des pauvres, cette même aide, en tout cas un excédent d’aide, est visiblement conditionnelle : il faut démontrer qu’on travaille « fort » – et le préjugé sous-jacent est qu’on est surtout pauvre parce qu’on ne travaille pas assez « fort ». (Ceci dit en excluant du lot des pauvres – que l’on considère au mérite – ceux qui ont des contraintes sévères à l’emploi, comme certains handicapés. Il serait indéfendable de les laisser tomber, même seulement symboliquement. Cela fait consensus et il serait malhonnête d’induire que Justin Trudeau travaille contre eux.)
Le problème avec les propos de notre premier ministre canadien, c’est qu’ils excluent la quasi-totalité des causes de la pauvreté. Même en acquiesçant à l’importance de faire des efforts pour « se joindre à la classe moyenne », donc se sortir de la pauvreté, cette position fait abstraction du contexte social, de l’éducation et surtout, du marché de l’emploi qui, en soi, freine l’effort de beaucoup de gens. Quelle est la solution pour le travailleur peu éduqué qui n’a pas les capacités (psychologiques et/ou intellectuelles) pour retourner aux études, alors qu’il travaille déjà à temps plein tout en se retrouvant dans la classe pauvre, et qu’il fréquente parfois même les centres d’aide de première nécessité? Quelle est la solution pour l’assisté social qui est supposément apte à l’emploi, mais qui est surtout inadapté au marché de l’emploi et qui aurait plutôt besoin d’aide psychologique que de la culpabilisation gouvernementale qu’offre Justin Trudeau, symptôme apparent de la culpabilisation sociale?
Quoi qu’il en soit, la solution ne se trouve pas dans le message qu’il envoie. Il aura beau pousser dans le dos des pauvres pour qu’ils « travaillent fort pour se joindre à la classe moyenne », s’il n’y a pas un changement en profondeur de la société pour aider ceux qui en ont vraiment besoin à court et à long terme, la classe pauvre restera pauvre et surtout, elle ne diminuera pas en nombre. En quoi aider plus amplement la classe moyenne peut-il avoir des répercussions sur la classe pauvre, à part d’empêcher un glissement de la classe moyenne vers la classe pauvre? S’il était vraiment progressiste, Justin Trudeau s’attaquerait aux problèmes de fond plutôt que de chercher à flatter son électorat principal, la classe moyenne, qui pourrait tout à fait bien s’aider elle-même en essayant d’arrêter de vivre au-dessus de ses moyens, sans doute par mimétisme, pour avoir un train de vie qui se rapproche de la classe riche.
En somme, Justin Trudeau n’est pas aussi progressiste qu’il tente d’en donner l’impression, avec ses égoportraits de principes vertueux. Le vide qu’on l’on pouvait lui reprocher se remplit d’une manière moins reluisante que les apparences le suggéraient. Au moins, avec Stephen Harper, on avait l’heure juste.
(Photo : Presidencia de la República Mexicana)